Juré au tribunal Russell, fort de sa connaissance de première main des événements du Vietnam comme de la politique américaine, Günther Anders écrit en 1968 Visit beautiful Vietnam, une charge acérée contre la langue et la morale qui justifient toute guerre d’agression, qu’elle soit extérieure ou intérieure. L’une des idées fortes qu’Anders tente de faire passer est que la guerre du Vietnam inaugure une série de guerres d’un type nouveau, qu’il ne faut surtout pas confondre avec les précédentes. Cette guerre d’un type nouveau est une guerre dans laquelle la supériorité de la force armée de l’agresseur est telle que l’issue du conflit apparaît d’emblée sans espoir pour l’agressé. Mais il ne s’agit pas d’intégrer une nouvelle province à l’empire ; la souveraineté formelle du vassal doit être maintenue. Le but de l’agression est de forcer l’agressé à reconnaître une manière de tutelle morale, c’est-à-dire d’accepter d’entrer dans la zone d’influence politique de l’agresseur et, conséquemment, accepter les règles du jeu régissant les échanges économiques au sein de cette zone, qui favorisent naturellement la puissance dominante : le peuple agressé est réputé se défendre contre un ennemi extérieur ou se dégager d’une dictature, en marche vers la démocratie sous les conseils avisés de… son agresseur.
Visit beautiful Vietnam, qui n’avait jamais connu de traduction française, est sans doute l’ouvrage le plus sous-estimé de son auteur, ce qui est fort dommage car c’est l’un de ses meilleurs, l’un des plus finement ciselés, sous les dehors d’un désordre apparent ; le plus méchant assurément, et il est souvent méchamment drôle.
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